Yoni Queen peste, c’est son manifeste !

Il était une fois…

Une reine… magnifique, mirifique, magique même parfois…

 

Elle était la reine d’un royaume chéri, que l’on nommait Yoni.

Ce royaume accueillant, si doux, si chaud, si moelleux, si mouillé, si délicieux… était honni de tous. Presque tous… Maudit de tous, même. Des femmes et des mères encore plus, hélas !

 

Tous et toutes agissaient comme si on y sentait le soufre, la luxure, la dépravation, la déchéance. Comme s’il fallait mettre ce royaume sous tutelle, sous séquestre, le coloniser, l’exploiter, l’attaquer ou le mutiler. Alors qu’on y sentait surtout la pulsation, la puissance, la pénétration de l’amour infini.

 

Alors ? 

Alors Yoni Queen pestait, vitupérait, se désespérait. Elle avait exploré les métaphores autorisées par la poésie, pour célébrer la montée du désir, le droit au plaisir, les joies de l’amour incarné. Elle avait même partagé le fruit de son inspiration sur la toile mondiale, sous le nom d’Océane Odyssée.

 

Mais elle se trouva fort dépourvue, quand la prose fut venue…

 

Pour décrire les sensations physiques avec le degré de précision nécessaire pour retranscrire leur intensité et leur durée, leur innocence et la jouissance associée, le vocabulaire disponible était d’une indigence difficile à imaginer. Triste, triste anatomie, surtout en francophonie ! 

 

Yoni Queen détestait la sonorité du mot « vulve », et encore plus celle du « vagin ». Malgré les fabuleux monologues d’Eve Ensler, Yoni Queen ne réussissait pas à aimer ces mots. Dans la langue de Shakespeare, ce qui se disait « vedjaïna », plus proche des racines latines, était bien plus joli. 

 

La verge mâle était à peine mieux lotie, puisqu’on pouvait la confondre avec celle utilisée pour les châtiments corporels. Sans compter que mettre au féminin UNE verge, et au masculin UN vagin… il fallait oser. Quant au pénis et au pubis… Yoni ne leur trouvait rien de rebutant mais rien d’appétissant non plus. 

 

Il y avait bien le clitoris, assez rigolo quand on lui rabotait le caquet. Mais le clicli ou le clito… Même avec ses ailes enfin dévoilées, il n’était que le portail d’accès aux spasmes de l’utérus.

 

La répétition de tous ces pauvres mots, qui aurait pu en banaliser les aspérités, ne parvenait pas à la musicalité. Du moins pour les oreilles peu chastes mais délicates de Yoni Queen. La vulve ? Elle ne rimait avec rien d’autre qu’elle-même. Le vagin hélas, fréquentait les engins… ce qui pouvait réjouir les camionneurs, mais ne transportait pas notre reine vers Cythère. En fait, ces vocables n’avaient qu’un mérite, celui de la clarté.

 

Car, pour ce qui était du mot sexe, en français, rien de plus équivoque. « Son sexe… » Mais de qui et de quoi parle-t-on ? de son sexe à lui ? ou de son sexe à elle ? Eh non, sa sexe, ça ne s’écrit pas… A moins de tout mettre au pluriel… ? « Leurs sexes »… ??? Ce qui se jouait là risquait fort d’être condamné par l’académie…

 

Pourtant, Yoni Queen n’était pas adepte des édulcorants. Appeler un chat ou une chatte sauvage un… « felis silvestris », pour ne pas effaroucher les hypocrites souris… ce n’était pas digne d’une reine. 

 

Se contenter des fleurs bleues ou roses sentimentales était contre-productif. Foi de reine Yoni, si l’objectif est de favoriser l’incarnation dans un corps sain, innocent, dans toutes ses dimensions… alors adieu tulipes, strelitzias, cattleyas… 

 

Mais exit aussi, hélas, les mots vulgaires, argotiques, même les perles truculentes de Frédéric Dard. Même l’abricot de Colette Renard… même et surtout… le con !!!! Il faut dire que le con*… c’est vraiment le pompon ! Aurait-on eu l’idée de dénommer le « sot » ou « l’idiot » l’attribut principal de ces messieurs ?

 

A vrai dire, en français, les mots désignant les parties génitales n’étaient pas les seuls à poser problème. D’autres parties du corps portaient des noms tout aussi peu attrayants. Pied. Mollet. Cuisse. Jambe. Bras. Bouche. Langue… Les sons étaient fades, et les synonymes rares.

 

Mais il y avait pire : le tronc, le torse, le thorax, l’abdomen… pouvait-on imaginer plus rugueux ? Pourquoi diable – c’était bien le cas de le dire -- avait-on décidé de recourir aux mêmes termes pour désigner des parties recouvertes d’écorce pour les arbres, de cuticule chez les insectes, et de moelleux chez les mammifères ?

 

Le recours à la métaphore pouvait être une voie de salut. Pour les organes femelles, la moisson était très fleurie. Les sépales, les pétales, le calice, l’écrin, le fourreau, le berceau… floraison à foison ! Le registre maritime déferlait lui aussi : la conque, le coquillage, l’anémone… Mais la métaphore, surtout filée, produisait un effet assez étrange au quotidien. Y recourir systématiquement ne pouvait que lasser. « Chéri, tu viens honorer mon joyau ? » Comment faire durer l’enchantement prosaïque au-delà des premiers mois ?

 

D’autres substantifs faisaient allusion à une capacité d’accueil démesurée et désespérément immobile : la grotte, la galerie, le puits, la cheminée, le vestibule, le couloir, l’antre, le vase, la vasque… Certes, tout cela vaut mieux que la bouche d’égout – ou que la cavité dentée… Mais de tels réceptacles ne peuvent rendre compte de l’accueil féminin, de la variété des réponses, des initiatives possibles, des pulsations, des contractions, de l’effet d’aspiration qui peut subjuguer le pistil du mâle.

 

Pour l’homme, le vocabulaire est beaucoup plus valorisant. Si l’on aime le registre guerrier du moins… La dague, l’épée, l’éperon, le harpon, le tisonnier… Avec de telles comparaisons, comment un homme peut-il ne pas être tenté de s’imposer ? Il y a bien le phare, le flambeau, l’oriflamme, l’étendard… mais ne peuvent-ils perdre leur superbe une fois coiffés ? 

 

Heureusement, la ruralité fournit des ressources insoupçonnées… Au royaume de Yoni, on peut découvrir des sentiers discrets, contempler les collines, explorer des vallées parfumées, glisser dans les ravins, se désaltérer à la fontaine, labourer des terres fertiles, ensemencer les sillons… Et l’on voudrait que les princes résistent aux bergères ? On peut même y brouter le gazon, c’est dire…

 

Faut-il alors transformer les chambres à coucher en prairies fleuries ? Ou en oasis gastronomiques ? 

 

Yoni Queen n’a pas la ou les solutions sous la main, ni même sur le bout de la langue. Elle constate que faire évoluer la perception des mots, leur connotation, comme l’a tenté Eve Ensler, n’est pas suffisant. Pour avancer, peut-être faut-il sortir du monologue ?

 

Alors, quoi ? La seule voie devient-elle celle proposée par le tantra, selon laquelle yoni et linga s’unissent pour accéder à la transcendance ?

 

S’il faut recourir au sanskrit pour redonner sa beauté à la sexualité, pourquoi pas ?

 

Après tout, traiter son corps et celui de l’autre comme celui d’un dieu ou d’une déesse ne peut que favoriser la santé. Il faudrait seulement veiller à ce que toutes ces divinités exercent leur pouvoir dans la bienveillance et la générosité, sans condescendance…

 

Oui, si les mots sont le signe du mépris de l’occidental pour le corps, il est décidément grand temps d’en changer. Sur la toile, les mots associés à la sexualité ont gagné en banalité, mais aussi en grossièreté… 

 

De nouveaux mots peuvent aider, Yoni Queen en est convaincue. Après tout, c’est avec eux que l’être humain construit sa réalité…


*Yoni Queen fait une légère erreur... mais cela ne remet pas en cause son triste constat.

Historiquement, l'adjectif "con" n'a pas précédé le "con", substantif utilisé pour désigner le sexe féminin, c'est l'inverse.

Il n'empêche que choisir ce mot pour en faire une insulte, cela n'a rien de célébrant...

Sans compter que, même sans être associé à une insulte, le mot "con" n'a rien d'élégant... rien de pulsant... rien de puissant...